Discours d’ouverture aux travaux

Paul Card. Poupard

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Éminences,

Excellences,

Chers Amis,

Je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue au Conseil Pontifical de la Culture pour notre Assemblée Plénière. Cette Assemblée Plénière, vous le savez, coïncide avec le 20èmeanniversaire de la création de notre Dicastère par le Pape Jean-Paul II, dès le début de son Pontificat, le 20 mai 1982.

Selon l’usage, notre Secrétaire, le Père Bernard Ardura va vous présenter tout à l’heure le rapport d’activité depuis la dernière Plenaria. Et le Père Laurent Mazas introduira ensuite le thème de la Plénière : « Transmettre la foi au cœur des cultures, Novo millennio ineunte. »

I. Pour ma part, à vingt ans de la création du Conseil, à laquelle j’ai été activement associé par le Saint-Père dès 1980, – je venais de succéder au Cardinal König à la Présidence du Secrétariat pour les Non-Croyants – avec le Cardinal Garrone, au titre de la Congrégation pour l’Éducation catholique, le Président Carlos Chagas, au titre de l’Académie Pontificale des Sciences, et le Père Carrier, au titre du Centre de recherche de la Fédération internationale des Universités catholiques, il me paraît important de nous remémorer quelle a été l’intention du Pape Jean-Paul II en créant ce Conseil, puis en le fusionnant onze ans plus tard avec le Secrétariat pour les Non-Croyants, devenu ensuite dans la Constitution Pastor Bonus sur la Curie Romaine en 1988 le Conseil Pontifical pour le Dialogue avec les Non-Croyants.

1. Dans sa Lettre de fondation en la fête de l’Ascension, le 20 mai 1982, le Saint-Père déclare « opportun, je le cite, de fonder un organisme spécial permanent dans le but de promouvoir les grands objectifs que le Concile œcuménique Vatican II s’est fixés quant aux rapports entre l’Église et la culture. » Et il ajoute : « Une foi qui ne devient pas culture est une foi qui n’est pas pleinement accueillie, entièrement pensée et fidèlement vécue… Là même où des idéologies agnostiques, hostiles à la tradition chrétienne, ou même franchement athées, inspirent certains maîtres de pensée, l’urgence pour l’Église d’entrer en dialogue avec les cultures n’en est que plus grande pour permettre à l’homme d’aujourd’hui de découvrir que Dieu, bien loin d’être le rival de l’homme, lui donne de s’accomplir pleinement, à son image et ressemblance… Aussi la rencontre des cultures est-elle aujourd’hui un terrain de dialogue privilégié entre des hommes également en recherche d’un nouvel humanisme pour notre temps, par-delà les divergences qui les séparent… Aussi, en vertu de ma mission apostolique, je ressens la responsabilité qui m’incombe, au cœur de la collégialité de l’Église universelle, en liaison et en accord avec les Églises locales, d’intensifier les relations du Saint-Siège avec toutes les réalisations de la culture, en assurant aussi un rapport original dans une féconde collaboration internationale, au sein de la famille des nations…

C’est pourquoi j’ai décidé de fonder et d’instituer un Conseil pour la culture capable de donner à toute l’Église une impulsion commune dans la rencontre sans cesse renouvelée du message de salut de l’Évangile avec la pluralité des cultures, dans la diversité des peuples auxquels il doit porter ses fruits de grâce… Ce Conseil me sera directement rattaché… comme un service nouveau et original, que la réflexion et l’expérience permettront peu à peu de structurer de façon adaptée, tant il est vrai que l’Église ne se situe pas en face des cultures de leur extérieur, mais bien au-dedans d’elles-mêmes comme un ferment, en raison du lien organique et constitutif qui les réunit étroitement.

Ce Conseil poursuivra des finalités propres dans un esprit œcuménique et fraternel, en promouvant aussi le dialogue avec les religions non chrétiennes et avec les personnes ou les groupes qui ne se réclament d’aucune religion, dans la recherche conjointe d’une communication culturelle avec tous les hommes de bonne volonté. Il apportera régulièrement au Saint-Siège l’écho des grandes aspirations culturelles à travers le monde. »

Et le Saint-Père d’énumérer ensuite les « tâches pour lesquelles il est institué et qui sont, dans leurs grandes lignes :

i. Témoigner, devant l’Église et le monde, du profond intérêt que le Saint-Siège, de par sa mission propre, accorde au progrès de la culture et au fécond dialogue des cultures, comme à leur rencontre bénéfique avec l’Évangile.

ii. Participer aux préoccupations culturelles que les dicastères du Saint-Siège entretiennent dans leur travail, de manière à faciliter la coordination de leurs tâches pour l’évangélisation des cultures, et à assurer la coopération des institutions culturelles du Saint-Siège.

iii. Dialoguer avec les Conférences épiscopales afin aussi de faire bénéficier toute l’Église des recherches, initiatives, réalisations et créations qui permettent aux Églises locales une présence agissante dans leur propre milieu culturel.

iv. Collaborer avec les organisations internationales catholiques, universitaires, historiques, philosophiques, théologiques, scientifiques, artistiques, intellectuelles et promouvoir leur mutuelle coopération.

v. Suivre, selon la manière qui lui est propre et les compétences spécifiques des autres organismes de la Curie en la matière demeurant toujours sauves, l’action des organismes internationaux, à commencer par l’Unesco et le Conseil de coopération culturelle du Conseil de l’Europe, qui s’intéressent à la culture, à la philosophie des sciences, aux sciences de l’homme, et assurer la participation efficiente du Saint-Siège aux Congrès internationaux qui s’occupent de science, de la culture et d’éducation.

vi. Suivre la politique et l’action culturelle des divers gouvernements à travers le monde, légitimement soucieux de donner une dimension pleinement humaine à la promotion du bien commun des hommes dont ils ont la responsabilité.

vii. Faciliter le dialogue Église-cultures au niveau des universités et des centres de recherches, des organisations d’artistes et de spécialistes, de chercheurs et de savants et promouvoir des rencontres signifiantes à ces univers culturels.

viii. Accueillir à Rome les représentants de la culture intéressés à mieux connaître l’action de l’Église dans ce domaine et à faire bénéficier le Saint-Siège de leur riche expérience, en leur offrant à Rome un lieu de réunion et de dialogue. (AAS 74, 1983, p. 683-688).

2. D’année en année, au fil des rencontres, le Saint-Père n’a cessé de nous encourager à évangéliser les cultures et à inculturer l’évangile. « Il y a là, disait-il le 13 janvier 1989, un enjeu décisif pour l’action de l’Eglise, aussi bien au cœur des diverses cultures traditionnelles qu’auprès des formes complexes de la culture moderne… Inculturer l’Évangile, ce n’est pas le ramener à l’éphémère et le réduire au superficiel qui agite la mouvante actualité. C’est au contraire, avec une audace toute spirituelle, insérer la force du levain de l’Évangile et sa nouveauté plus jeune que toute modernité, au cœur même des ébranlements de notre temps, en gestation de nouveaux modes de penser, d’agir et de vivre… Les personnes qui ont reçu la nouveauté de l’Évangile se l’approprient et l’intériorisent de manière à le réexprimer dans leur vécu quotidien, selon leur génie propre. »

« Il y a encore, nous disait-il dès le 18 janvier 1983, des milieux et des mentalités, comme des pays et des régions entières à évangéliser, ce qui suppose un long et courageux processus d’inculturation afin que l’Évangile pénètre l’âme des cultures vivantes, répondant à leurs attentes les plus hautes et les faisant croître à la dimension même de la foi, de l’espérance et de la charité chrétiennes… Votre tâche est difficile, mais splendide. Ensemble vous devez contribuer à tracer les voies nouvelles du dialogue de l’Église avec le monde de ce temps. Comment parler au cœur et à l’intelligence de l’homme moderne pour lui annoncer la parole salvifique ?… Votre rôle est grand, puisque vous avez à aider l’Église à devenir créatrice de culture dans son rapport au monde moderne… Ce qui est évidemment demandé au Conseil pour la culture, c’est d’exercer son action par mode de dialogue, d’incitation, de témoignage, de recherche. Il y a là une façon particulièrement féconde pour l’Église d’être présente au monde pour lui révéler le message nouveau du Christ rédempteur. »

« Votre rôle, ajoutait-il l’année suivante, le 16 janvier 1984, est surtout de nouer des relations avec le monde de la culture, dans l’Église et en dehors des institutions ecclésiales, avec les évêques, les religieux, les laïcs engagés en ce domaine ou délégués des associations culturelles officielles ou privées, les universitaires, les chercheurs et artistes, tous ceux qui sont intéressés à approfondir les problèmes culturels de notre temps. »

Poursuivant ses recommandations, le Saint-Père ajoutait, le 15 janvier 1985 : « Vous devez aider l’Église à répondre à ces questions fondamentales pour les cultures actuelles : comment le message de l’Église est-il accessible aux cultures nouvelles, aux formes actuelles de l’intelligence et de la sensibilité ? Comment l’Église du Christ peut-elle se faire entendre par l’esprit moderne, si fier de ses réalisations et en même temps si inquiet pour l’avenir de la famille humaine ? »

Le 13 janvier 1986, Jean-Paul II nous encourageait : « Poursuivez cette tâche complexe, mais nécessaire et urgente, stimulez à travers le monde les énergies en attente et les volontés en éveil. »

Le 17 janvier 1987, il précisait : « En vous félicitant pour les tâches accomplies, je vous demande d’envisager l’avenir avec beaucoup de lucidité et d’espérance. Permettez-moi de suggérer deux orientations principales qui devraient inspirer vos efforts, vos recherches, vos initiatives et la coopération de tous ceux avec qui vous êtes en rapport. D’une part, je vous engage de nouveau à faire mûrir dans les esprits l’urgence d’une rencontre effective de l’Évangile avec les cultures vivantes. L’écart reste immense et dramatique entre la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ et des zones entières de l’humanité. » Et après avoir développé ce premier point, le Saint-Père revient, selon ses propres termes, « pour y insister, sur cet objectif également central dans votre travail… : celui de l’inculturation… Car ce néologisme découvre un enjeu capital pour l’Église, surtout dans les pays de traditions non chrétiennes. En entrant en contact avec les cultures, l’Église doit accueillir tout ce qui dans les traditions des peuples est conciliable avec l’Évangile pour y apporter les richesses du Christ et pour s’enrichir elle-même de la sagesse multiforme des nations de la terre. Vous le savez : l’inculturation engage l’Église sur un chemin difficile, mais nécessaire. »

Le 15 janvier 1988, le Pape aborde un autre aspect, non moins important, de notre travail : « Dans le cadre de l’activité du Saint-Siège auprès des institutions internationales, à commencer par l’UNESCO et le Conseil de l’Europe, vous avez une contribution spécifique à apporter selon vos attributions propres, afin de rendre encore plus incisive la présence des chrétiens et de leurs organisations dans les grandes rencontres où se débattent les problèmes de l’éducation, de la science, de l’information et de la culture. »

Le 11 janvier 1992, Jean-Paul II nous disait, voici dix ans : « Dans quelques mois, le Conseil pontifical pour la Culture, l’un des plus jeunes dicastères de la Curie romaine, célébrera ses dix ans de fondation… Je souhaite que s’intensifie votre collaboration avec les Églises locales, afin de promouvoir les initiatives propres à stimuler l’évangélisation des cultures et l’inculturation de la foi ».

En relisant ces textes, comment ne pas être frappé de la force de conviction du Saint-Père et de la continuité de ses directives, tout au long de notre première décennie d’existence !

3. Le 25 mars 1993, nouvelle étape pour notre dicastère, le Pape Jean-Paul II, par Lettre apostolique sous forme de Motu Proprio, réunit en un seul Conseil le Conseil Pontifical de la Culture et le Conseil Pontifical pour le Dialogue avec les Non-Croyants. Voici les deux premiers articles de ce texte du Saint-Père, qui nous régit donc toujours aujourd’hui :

Art. 1 : Le Conseil promeut la rencontre entre le message salvifique de l’Évangile et les cultures de notre temps, souvent marquées par la non-croyance et l’indifférence religieuse, afin qu’elles s’ouvrent toujours davantage à la Foi chrétienne, créatrice de culture et source inspiratrice des sciences, des lettres et des arts.

Art. 2 : Le Conseil manifeste la sollicitude pastorale de l’Église face aux graves phénomènes de rupture entre Évangile et cultures. Il promeut donc l’étude du problème de la non-croyance et de l’indifférence religieuse présentes sous des formes variées dans les divers milieux culturels, il en recherche les causes et les conséquences en ce qui touche la Foi chrétienne, dans le but de fournir une aide adaptée à l’action pastorale de l’Église pour l’évangélisation des cultures et l’inculturation de l’Évangile. (Lettre apostolique Motu proprioInde a Pontificatus, AAS 85, 1993, p. 549-552).

Dans cette perspective et pour rendre plus efficiente la présence qualifiée du Saint-Siège dans le domaine de la culture, le Saint-Père confiait au nouveau Dicastère le renouvellement et la coordination des Académies Pontificales (cf. Ibid.).

Le 18 mars 1994, le Saint-Père développait longuement les deux tâches du nouveau Conseil Pontifical de la Culture : dialogue avec les non-croyants et inculturation de la foi. Le 14 mars 1997, il soulignait combien l’Évangile est bonne nouvelle pour toutes les cultures auxquelles il donne une dimension nouvelle, celle de l’espérance du Règne de Dieu. Et enfin, le 19 novembre 1999, le Pape nous renouvelait ses encouragements en ces termes : « Je souhaite vivement que le Conseil Pontifical de la Culture poursuive ses efforts, ses recherches et ses initiatives, notamment en soutenant les Églises locales et en favorisant la découverte du Seigneur de l’histoire par ceux qui sont immergés dans le relativisme et l’indifférence, ces visages nouveaux de l’incroyance… En particulier, je vous invite à soutenir les communautés chrétiennes, qui n’en ont pas toujours les moyens, pour qu’elles portent une attention renouvelée au monde si diversifié des jeunes et de leurs éducateurs, des scientifiques et des chercheurs, des artistes, des poètes, des écrivains, et de toutes les personnes engagées dans la vie culturelle, afin que l’Église relève les grands défis de la culture contemporaine. Cela est vrai tout autant en Occident que dans les terres de mission. Je tiens à vous renouveler l’expression de ma reconnaissance pour le travail accompli. »

II. Au cours des dernières semaines, j’ai repris la longue liste de l’ensemble des Congrès, Colloques, Rencontres, Symposiums promus par le Conseil Pontifical de la Culture ou auxquels il a collaboré à travers les divers Continents, pour répondre aux directives du Saint-Père. En se limitant à l’essentiel, l’énumération remplit dix-sept pages ! Il n’est pas question de vous en donner lecture. J’évoque simplement le premier et le dernier de la liste, qui sont bien significatifs. Le premier, tout de suite après la création du Conseil, dès le mois de juillet 1982, est un Colloque interdisciplinaire de la Faculté de théologie de Kinshasa, alors Zaïre, surThéologie, Philosophie et Culture africaine. Le dernier est, en février 2002 à Puebla de los Angeles au Mexique, avec l’Universidad Popular Autonoma del Estado de Puebla, et le Center for Theology and Natural Sciences of Berkeley, sur Ciencia y Religión. Hacia una nueva cultura de Collaboración. Cette simple évocation se veut seulement une illustration de la diversité des appels qui nous parviennent depuis 20 ans au Conseil Pontifical de la Culture et de la manière non moins diversifiée d’y répondre pour honorer les deux autres articles du Motu Proprio du 25 mars 1993, le double héritage des deux dicastères antécédents :

Art. 3 : Pour favoriser les relations de l’Église et du Saint-Siège avec le monde de la culture, le Conseil prend des initiatives appropriées concernant le dialogue entre la Foi et les cultures, et le dialogue interculturel. Il suit les initiatives promues par les diverses Institutions de l’Église et offre sa collaboration aux Organismes correspondants des Conférences Épiscopales.

Art. 4 : Le Conseil établit aussi le dialogue avec ceux qui ne croient pas en Dieu ou ne professent aucune religion, chaque fois que ces derniers sont ouverts à une sincère collaboration. Il organise et participe à des rencontres d’études en ce domaine, par l’intermédiaire de personnes expertes. (Ibid., p. 551).

1. Pour ce qui concerne l’héritage de l’activité conduite par le Conseil pontifical pour le Dialogue avec les Non-Croyants, à vingt ans de sa création par le Pape Paul VI, son Successeur le Pape Jean-Paul II, qui m’en avait confié la présidence en succession du Cardinal König, nous disait, le 22 mars 1985, son « rôle important d’incitation, d’approfondissement, de suggestions, de propositions, au sein de la Curie romaine et au service des Églises locales affrontées au défi de l’athéisme et au drame de l’incroyance ».

L’Assemblée Plénière soulignait alors le passage de l’athéisme triomphaliste et militant, à un athéisme pessimiste et désenchanté, un athéisme de l’ennui, un agnosticisme croissant, une incroyance pratique sur fond d’hédonisme, séduction des biens matériels, recherche de jouissance immédiate, repli sur l’instant présent, absence d’idéal, perte de la dimension eschatologique de l’existence, influence lancinante des médias et de leur vision sécularisée de la réalité.

En même temps, se faisait jour une nouvelle quête du spirituel, une nouvelle recherche du sacré, l’éveil d’une conscience religieuse vague aux contours indécis, souvent déviée chez les jeunes, vers des paradis sensuels.

Pour répondre à ce défi d’un monde affaissé dans la non-croyance pratique, fatigué des idéologies et en quête obscure de lumière, notre Assemblée Plénière proposait une pastorale globale de l’intelligence et du cœur, pastorale de la culture. Pour que la question de la vérité redevienne intéressante et vitale, il était demandé à la pensée chrétienne de renouer le dialogue avec la philosophie, l’art et la littérature moderne, les sciences modernes de la nature et les sciences humaines, pour combler l’abîme qui sépare le christianisme de la culture moderne.

Le même abîme déjà était souligné dès 1964 dans un article de La Civiltà Cattolica du 19 décembre, consacré au Christianisme au Japon. L’auteur, le Père Annibale Fantoli, se demandait comment et pourquoi le christianisme, malgré un effort missionnaire séculaire, ne progresse pas au Japon, près d’une population qui est loin d’être insensible à la religion, comme le montrent ces chiffres étonnants : alors que le Christianisme piétine à 700.000 fidèles, les nouveaux mouvements religieux locaux ont gagné quelque 20 millions de fidèles. La réponse pour lui ne fait pas de doute : le christianisme au Japon était et demeure une greffe de l’Occident, une plante exotique dans une serre, sans beaucoup d’efforts pour s’adapter à un nouveau climat, sans contact, dans l’isolement de la vie réelle du Japon.

Pour qu’on ne se méprenne pas sur sa pensée, l’auteur ne manque pas de souligner que le Christianisme n’est pas une culture, qu’il est une religion révélée avec un noyau irréductible à toute adaptation. L’adaptation réelle qu’il demande – car le concept d’inculturation n’était pas encore utilisé dans l’Église –, c’est la capacité de pénétrer en profondeur l’âme de ce peuple, dans sa psychologie, dans ses modes de vivre, qui sont l’expression de sa culture, pour pouvoir être le levain capable de faire lever toute cette masse, et la transformer dans une culture japonaise chrétienne, l’émergence d’un mode de penser et de vivre qui soit tout à la fois chrétien et enraciné dans les traditions culturelles de ce peuple. Et d’ajouter aussitôt combien cette tâche nécessaire est difficile si l’on pense à la complexité des facteurs qui ont influencé cette culture au long des siècles. Le plus difficile, souligne-t-il, est de présenter le dogme chrétien avec ses présupposés philosophiques de manière adaptée à la pensée japonaise. Tant que les textes du catéchisme aussi bien que de philosophie et de théologie ne seront que pures traductions de textes européens et américains, sans effort de les repenser sur la base des réalités de la psychologie et de la culture japonaises, inutile de compter sur une activité missionnaire vraiment efficace, comme David empêché de marcher, tant qu’il était empêtré dans la pesante armure de Saül.

2. Transmettre la foi au cœur des cultures, novo millennio ineunte, c’est bien sûr la mission de toute l’Église, à laquelle le Saint-Père nous invite dans sa dernière Lettre apostolique. Significativement, cette invitation de Jean-Paul II résonne comme un appel au terme de notreInstrumentum laboris. Le Pape nous invite à « un nouvel élan apostolique », « dans l’attention à l’égard des différentes cultures dans lesquelles le message chrétien doit être introduit, de sorte que les valeurs spécifiques de chaque peuple ne soient pas reniées, mais purifiées et portées à leur plénitude. Le christianisme du troisième millénaire devra répondre toujours mieux à cette exigence d’inculturation » (n° 40).

Dans un Colloque déjà lointain – c’était en 1990 à Speyer, en Allemagne – sur les chances et les menaces pour l’Église aujourd’hui en Europe, le professeur Robert Spaeman que j’avais invité présentait ainsi le défi de la modernité. L’alternative, disait-il en substance, n’est, ni « l’auto-relativisation » qui fait de l’Église un groupe parmi d’autres, ni la tentative d’effacer les distinctions pour faire partie de l’ensemble. L’unique alternative chrétienne s’appelle mission. Elle demande chez les chrétiens la conviction qu’ils ont choisi « la meilleure part », car nul ne saurait vivre dans cette situation s’il n’est pas sûr de ses propres convictions. Et cette assurance est la condition indispensable pour attirer les autres. Pour pouvoir les attirer, il faut présenter l’objectif d’abord comme vrai, ensuite, comme bon, enfin comme beau, c’est à dire comme source de joie, comme quelque chose qui, par sa beauté intérieure, est irrésistible. Charles Péguy a une fois défini le modernisme comme l’attitude de celui « qui ne croit pas ce qu’il croit ». Dans nos académies catholiques, on parle depuis quelques années seulement des limites du magistère, tandis qu’une annonce convaincante de la foi ne peut avoir d’autre tâche que de rendre lumineuse la force de rayonnement de la vérité tout entière. Toutes les annonces de la vérité restent vides si elles ne sont pas accompagnées d’une mystérieuse force d’attraction intérieure. On se plaint aujourd’hui souvent de la disparition des liens entre la foi, l’Église et la culture. Mais, pour rétablir ce lien, il ne suffit pas d’organiser des Congrès et d’autres initiatives, il faut plutôt rendre sa force d’attraction à ce qui constitue le centre de toute culture chrétienne : le culte chrétien. Dans un monde largement déchristianisé, les chrétiens ne peuvent influencer directement la culture globale de leur temps. Il ne peuvent que développer une « subculture » chrétienne. Pour ce faire, il est nécessaire que, sans s’éloigner de la civilisation de leur temps, ils développent des traits spécifiques qui les différencient de cette civilisation, comme ce fut le cas au début du christianisme. Et Spaeman de conclure : tout ce que je viens de dire aboutit à une seule conviction. L’avenir de la foi dépend de la possibilité de la percevoir comme source de joie, inséparablement liée à une grande fierté, celle de pouvoir s’appeler « chrétien ». C’est seulement là où « être chrétien » est considéré comme un privilège, que le christianisme peut susciter le désir de partager ce privilège (Cf. Athéisme et Foi, XXV, 1990, n° 4, p. 40-57).

3. À dix ans de distance, le théologien Pierre Gaudette que j’avais invité en juin dernier à Puebla de los Angeles à notre Rencontre Panaméricaine sur La culture dans l’horizon de la transmission de l’Évangile, présentait ainsi les fondements théologiques dans la transmission de la Bonne Nouvelle pour inculturer l’évangile et évangéliser les cultures : d’abord une dimension christologique, toujours partir de l’annonce du Christ Jésus, mort et ressuscité, continuel point de référence et critère de discernement. Puis une dimension anthropologique, l’évangile qui n’est pas un corps étranger, mais prend racine dans la culture des hommes. Troisièmement, la dimension ecclésiologique, l’Église qui est le lieu où ce mouvement d’évangélisation et d’inculturation se réalise, tant au plan des petites communautés de foi qu’au plan universel. Et enfin la dimension pneumatique : c’est l’Esprit Saint de Jésus vivant dans l’Église qui est l’agent, l’âme de tout le processus de transmission de la foi. L’inculturation est une réalité vivante (Cf. La Cultura en el horizonte de la transmisión del Evangelio. Perspectivas para una Nueva Evangelización, Puebla, Comisión Episcopal de Cultura, 2001, p. 79-94).

Déjà en 1985, la première rencontre en Amérique latine à Sumaré, à Rio de Janeiro, sur l’Evangelización de la cultura, soulignait l’importance que le Saint-Père Jean-Paul II donne au problème de la culture, aussi bien dans ses déclarations que dans son initiative de créer le Conseil Pontifical de la Culture, pour éveiller la conscience chrétienne au fait que c’est au niveau de la culture que la mission évangélisatrice de l’Église affronte aujourd’hui les défis les plus graves.

Une culture déterminée, soulignait dans le même temps le philosophe Etienne Borne, est pour le Christianisme à la fois un partenaire et un adversaire, abruptement avoué dans le célèbre discours de saint Paul sur l’Aréopage, tel qu’il se trouve dans les Actes des Apôtres. Et par là, une modernité dont le propos se résoudrait à une adaptation à la culture moderne ne serait que modernisme. Mais une foi qui ne saurait s’exprimer dans une culture demeurerait pour elle un corps étranger.

En conclusion. Chers Amis, en vous partageant ces quelques réflexions, je n’ai eu d’autre ambition que d’introduire notre délibération. Transmettre la foi au cœur des cultures, c’est la tâche de toute l’Église. Le Saint-Père a créé le Conseil Pontifical de la Culture voici vingt ans pour l’aider à répondre à sa manière propre à ce défi global. Il l’a écrit dans sa Lettre autographe de fondation en 1982. Il l’a redit dans sa Lettre autographe de refondation en 1993. Il n’a cessé de le répéter dans toutes nos rencontres que j’ai rapidement évoquées dans cette intervention liminaire.

Je me suis efforcé de raviver notre mémoire pour faciliter notre travail. Le document que nous avons publié voici trois ans, Pour une pastorale de la culture, demeure notre référence. Comment pouvons-nous traduire ces orientations ? L’Instrumentum laboris nous rappelle d’abord les convictions fondamentales sur la mission apostolique de l’Église, évangélisation et inculturation, puis identifie quelques défis, de la mondialisation à la diversité culturelle, et enfin ouvre un large horizon sur la transmission de la foi au cœur des cultures, Novo millennio ineunte.

Vous nous direz ce qui retient davantage votre attention et qui devrait orienter notre action pour aider toute l’Église à mieux remplir sa mission d’annoncer la Bonne Nouvelle de l’Évangile au cœur de toutes les cultures. Trois conditions, me semble-t-il, sont à réunir : que l’annonce soit intelligible, c’est à dire tout simplement, comprise pour ce qu’elle est ; que la Bonne Nouvelle annoncée apparaisse désirable au cœur, c’est à dire qu’elle présente quelque intérêt pour son destinataire ; et enfin qu’elle soit présentée de manière à ce que l’intelligence humaine puisse parvenir à la conviction qu’elle est vraie. Intelligible, désirable et vraie, telles sont bien les trois conditions pour transmettre la foi novo millennio ineunte.

Mais peut-être faut-il auparavant, avant d’aller ad extra, revenir ad intra, pour employer les catégories des Pères Conciliaires au Concile Vatican II. Je vous livre, en terminant, ces deux remarques. La première, de Monseigneur Fulton Sheen, l’archevêque américain vedette de télévision, que je fréquentais au temps du Concile : « Il n’y a pas plus de 100 personnes, aux État-Unis, disait-il, qui détestent l’Église catholique. Mais il y en a des millions, au contraire, qui détestent ce qu’ils imaginent bien à tort, être l’Église catholique. »

Et l’autre, du Père, futur Cardinal Henri de Lubac, dans son livre Catholicisme publié en 1936 : « Si tant d’observateurs qui ne sont pas tous sans perspicacité ni sans esprit religieux se trompent si lourdement sur l’essence du Catholicisme, n’est-ce pas un indice que les catholiques auraient à faire un effort pour mieux le comprendre eux-mêmes ? »

Merci et bon travail