Les cultures de l’Afrique au défi des migrations: un enjeu pour l’Église

S.Ecc. Mons. Anselme Titianma Sanon, Arcivescovo di Bobo-Dioulasso

1. Des situations

Le pays d’où nous venons, mon compatriote et moi, le Burkina Faso, est un pays sahélien et désertifié, enclavé entre cinq autres frontières, et à 800 kms de la Mer. Il est en même temps un carrefour permettant à ceux du Nord ( Sahel) de rejoindre la Côte Sud et, de l’Est, de gagner la Côte Ouest. C’est dire que les voyages, déplacements, une certaine transhumance des personnes, des familles et même de groupes humains étaient un facteur social habituel, soit saisonnier, soit temporaire ou même définitif pour des êtres humains en quête de bonheur, de sécurité, de justice, de paix sociale et religieuse, face à la sécheresse, la famine, une épidémie, la guerre, les stratégies de la Traite Négrière et de l’esclavagisme.

Ces drames étalés au cours de l’histoire sur des périodes plus ou moins courtes ont énormément façonné les traits culturels des Peuples noirs quant à la personnalité, l’humanisme, les langues, le domaine des arts, la vision du monde et de l’humanité, les religions et les mystiques ; ce qui fait qu’au regard des autres peuples, les habitants du continent africain ont supporté d’être en état de domination, chez eux, et de soumission, chez les autres, et ce malgré eux.

 

2. Drames

Malgré des moments tragiques nés de la rencontre entre l’Afrique et le monde, notamment l’Europe, l’humanité a pu gagner sur l’échelle de l’évolution, notamment dans le domaine de l’agriculture, la culture, le culte, donnant suite aux échanges commerciaux au lieu de conflits, confortant le génie artistique de l’imaginaire, les loisirs, etc. Ces mouvements s’inscrivaient habituellement dans le cadre d’ affrontements collectifs.

Le drame des migrations contemporaines vient du fait qu’elles sont rarement collectives, même si le courant est général, s’inscrivant dans un contexte global de mondialisation. Ici déjà, l’anthropologie culturelle peut se demander si elles sont irréversibles ou pas. Ce ne sont plus des hordes barbares ou des envahisseurs armés, des trafiquants ou des explorateurs, ce sont des individus devenus groupes ou en équipes, par fortune ou infortune, qui tendent de braver tout pour gagner d’autres rives.

Si du côté de ces rives tant rêvées, des barrières et murailles se dressent au nom des frontières politiques, économiques, sociales et culturelles, du côté des arrivants rien de tout cela. Ils trompent la vigilance des garde-frontières d’ici, espérant en faire autant partout ailleurs.

 

3. Défis et enjeux pour l’Église des migrants et personnes en déplacement

1.         La chronique quotidienne dans les communications, à tous les niveaux, nous relate ces drames humains à la face des Nations.

Le processus de globalisation dans le monde entraîne une exigence de mobilité : chacun hors de chez lui veut être partout chez lui, chacun chez soi chez les autres. Les catégories « migrant-refugié » se diversifient en : Migrants forcés ; réfugiés, exilés ; victimes du trafic d’êtres humains ; jeunesse intellectuelle, laborieuse, vigoureuse, audacieuse.

Les enjeux et leur répercussions se vérifient dans les familles et à l’Ecole. Dans les familles, avec la disparition des rôles traditionnels, on observe une perte de repères et une acculturation. L’école propose de nouveaux parcours éducatifs et des systèmes d’itinéraires d’intégration. Il faut dès lors développer le dialogue inter-humain, inter-religieux et inter-culturel, et pour cela créer un climat propice.

Des défis apparaissent : quelles sont les valeurs communes à toutes les cultures qui permettent la multi-culturalité ? quelles formations humaines, culturelles et professionnelles donner en régime de sécularité ?

2.         Nous sommes dans un nouveau monde social, culturel et professionnel, multi linguistique, multi-religieux et pluri-confessionnel, et multi-culturel.

 

4. Analyse

La migration a pour effet le déracinement par rapport à la culture d’origine, d’où le sentiment de double appartenance aggravé par la méfiance par rapport au milieu social d’accueil où est souhaitée une insertion organique, c'est-à-dire : ni assimilation complète, ni perte des traditions ancestrales, des valeurs morales, éthiques et religieuses, et une résistance à l’exploitation, aux chantages et aux abus.

L’alerte est de mise au point de départ le long du parcours et au terme d’arrivée. Comment les migrants arrivent-ils à destination ? Il s’agit de personnes seules, de familles, de groupes en déplacement : fugitifs, réfugiés, exilés. Mais… quand on ne sait plus d’où on vient, on se sait pas ou on est, et encore moins où l’on va.

 

5. Pédagogie en situations migratoires

Le changement étant devenu la mesure de tout, quand il prend une dimension globale et même mondiale, les régions et les couches pauvres et fragiles en sont les plus perturbées. Né pour être heureux autant que d’autres, chez soi et ailleurs, pour acquérir ou conquérir le bonheur à la sueur de son front avec d’autres, dans des conditions de sérénité et de sécurité promises pour tout le monde, d’une façon mondiale, les migrants dénoncent les paradoxes d’une société de libéralisation sélective, de mondialisation à vitesses inégalitaires.

Le Document du Saint Père, en février 2008, pour la Journée du jeune migrant, nous a servi de base pour la réflexion pastorale et pour fixer le cadre d’une action pédagogique et andragogique.

« Le vaste processus actuel de globalisation dans le monde porte avec lui une exigence de mobilité qui pousse notamment de nombreux jeunes à émigrer et à vivre loin de leurs familles -et de leurs pays ». (Benoît XVI)

« Comment ne pas penser que ces petits êtres sont venus au monde avec les mêmes attentes légitimes de bonheur que les autres ? Et, en même temps, comment ne pas rappeler l’importance fondamentale que revêtent les phases de l’enfance et de l’adolescence pour le développement de l’homme et de la femme, et qu’elles requièrent stabilité, sérénité et sécurité » ? (Benoît XVI)

En fait, notre vision se résume en une pastorale ecclésiale qui pourrait entraîner les Eglises dans la géopolitique de la mondialisation. Comme le furent des Documents tel Rerum Novarum en 1991, une voix concertée entre les Eglises pourrait être anticipatrice de la mondialisation en ses conséquences humanistes, positives ou néfastes. Pour l’instant, notre approche fait appel à la pastorale de prévention, d’accompagnement, d’ouverture et d’accueil de l’autre, en mobilité voulue ou forcée de chaque côté des rives de la mondialisation.